Société

Le défi croissant des déplacés internes au Cameroun, une crise humanitaire aux multiples facettes

Le soleil se lève à peine au quartier Briqueterie lorsque Mariam commence sa journée. Dans ses yeux, on peut lire toute la douleur d’une vie brutalement bouleversée. « Nous avons tout laissé derrière nous. Maintenant, nous devons tout recommencer à zéro », confie cette mère de quatre enfants qui a fui les violences dans le Nord-ouest du Cameroun. Son histoire est celle de plus d’un million de Camerounais, devenus déplacés internes dans leur propre pays, confrontés à l’un des plus grands défis de leur vie : reconstruire un avenir à partir de rien.

Mariam vit de débrouillardise. Elle fait les beignets bouillie haricots pour nourrir sa petite famille de cinq enfants. Son époux est décédé dans des conditions tragiques. Eugene a été tué par des séparatistes qui l’accusaient de collaborer avec les autorités.

« Un matin du 4 décembre 2019, ils ont débarqué chez nous. Ils ont amené mon mari. Pendant cinq jours ils ont réclamé une rançon de 2 millions FCFA, je n’avais personne pour m’aider. Et mes économies ne pouvaient pas payer cette rançon. Mon mari a été tué. Il était taximan et gagnait honnêtement sa vie. J’ai subi des menaces et c’est ce qui m’a obligé de fuir Bamenda pour m’installer ici à Yaoundé. Une sœur m’a aidée en m’hébergeant pendant un moment. Puis elle m’a trouvé un capital de 35 mille FCFA. Trois mois plus tard, je trouvais une maison pour mes enfants et moi », explique Mariam.

Grâce à son commerce, Mariam s’occupe de ses enfants. Et épargne chaque jour. Elle dit espérer acheter un lopin de terre pour construire sa maison. Mariam n’envisage pas de rentrer dans le nord-ouest. Elle dit se sentir à l’aise partout au Cameroun.

Urgence humanitaire

Les chiffres sont vertigineux : plus d’un million de déplacés internes, dont 60% sont des femmes et des enfants. Trois régions sont particulièrement touchées : l’Extrême-Nord, le Nord-Ouest et le Sud-Ouest. Dans ce tourbillon de détresse, 45% des déplacés trouvent refuge auprès de familles d’accueil, témoignant d’une solidarité qui transcende les difficultés.

« La première urgence, c’est d’assurer la survie », explique le Dr. Emmanuel Fouda, coordinateur des opérations d’urgence pour une ONG internationale. Dans son bureau de fortune, il énumère les besoins prioritaires : accès à l’eau potable, nourriture, abri sûr, soins médicaux de base, articles ménagers essentiels. Chaque jour est une lutte pour maintenir la dignité humaine face à l’adversité.

L’éducation, une lueur d’espoir dans la tourmente

A Yaoundé et dans d’autres villes du Cameroun, l’on rencontre de plus en plus d’enfants déplacés. Jean-Paul Ewodo, enseignant bénévole, observe avec inquiétude cette génération menacée. « L’interruption de la scolarité est dramatique », souligne-t-il, tout en préparant sa classe temporaire sous une tente. Malgré les efforts déployés, les besoins dépassent largement les capacités disponibles.

Innovations et résilience : reconstruire l’avenir

Face à cette situation, des solutions innovantes émergent. Des programmes de formation professionnelle accélérée, des initiatives de microcrédits pour petits commerces, des projets d’agriculture urbaine et d’artisanat local offrent aux déplacés des opportunités de retrouver leur autonomie. Comme le souligne Suzanne Moubitang K, spécialiste des questions humanitaires : « Le plus grand défi n’est pas seulement de maintenir les déplacés en vie, mais de leur permettre de retrouver leur dignité et leur autonomie. »

Une réponse coordonnée mais insuffisante

Le gouvernement camerounais, à travers le Ministère de l’Administration Territoriale (Minat), multiplie les initiatives : sites d’accueil temporaires, programmes d’assistance alimentaire, services de santé mobiles. Les organisations humanitaires complètent ces efforts avec des programmes intégrés, allant de la distribution de kits d’urgence au support psychosocial.

Le Minat offre régulièrement des vivres, des médicaments, et l’espoir de soulager un peu la détresse qui s’est installée dans certaines régions du pays. «Nous faisons ce que nous pouvons,” murmure un membre de la cellule de communication du Minat en essuyant son front. “Mais chaque jour apporte son lot de nouveaux défis », explique un cadre de la cellule de communication du Minat qui a fortement requis l’anonymat.

Les services de santé mobiles sillonnent le pays, atteignant parfois des villages où l’espoir semblait avoir déserté.

L’intégration locale : un défi complexe mais prometteur

« L’intégration ne se décrète pas », rappelle Sali, chef d’une communauté d’accueil à la briqueterie. Dans sa communauté, des projets innovants voient le jour : initiatives communautaires mixtes, comités de dialogue intercommunautaire, activités économiques partagées. Ces efforts tissent progressivement de nouveaux liens sociaux, essentiels pour une intégration réussie.

Trois options principales s’offrent aux déplacés : le retour dans leur zone d’origine, l’intégration locale ou la réinstallation dans une nouvelle région. Pour ceux qui souhaitent rentrer, des programmes spécifiques évaluent la sécurité des zones de retour, accompagnent la reconstruction des infrastructures et soutiennent le redémarrage économique.
Un appel à l’action collective

Les experts préconisent une approche multidimensionnelle : renforcement de la coordination entre acteurs, augmentation des financements à long terme, implication accrue des communautés d’accueil et développement de solutions durables. Chaque citoyen peut contribuer à cet effort, que ce soit par des dons aux organisations humanitaires comme la croix rouge.

Les experts insistent également sur l’importance d’assurer des financements pérennes, au-delà des réponses d’urgence. « Nous ne pourrons reconstruire durablement sans des investissements sur plusieurs années, » souligne l’économiste Dieudonné Essomba. « Les bailleurs de fonds doivent s’engager sur le long terme aux côtés du gouvernement », poursuit-il.

L’implication accrue des communautés d’accueil est également identifiée comme un levier essentiel. « Ces populations hôtes font déjà des efforts considérables, » témoigne une assistante sociale. « Nous devons les soutenir, valoriser leurs initiatives et les inclure pleinement dans la conception des programmes. »

Enfin, les experts s’accordent sur la nécessité de passer d’une logique de réponse d’urgence à une approche plus durable, axée sur la reconstruction et le développement. « Nous devons investir dans des infrastructures résilientes, dans l’éducation, dans la création d’emplois, » plaide Dieudonné Essomba. « C’est le seul moyen de briser le cycle de la crise.»

Armand Ougock

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