Politique

Et si c’était le dernier 6 novembre du Président Biya ?

Le soleil se lève sur Yaoundé en ce 6 novembre 2024, comme il s’est levé quarante-et-une fois auparavant à pareille date depuis 1982. Les rues de la capitale camerounaise s’animent doucement, tandis que les militants du RDPC se préparent déjà dans les sept arrondissements de la ville. Comme chaque année, l’administration tourne au ralenti. Les bureaux sont désertés, les fonctionnaires ayant été réquisitionnés pour les célébrations marquant l’accession au pouvoir de Paul Biya. Pourtant, cette année, quelque chose semble différent. Une lassitude palpable plane dans l’air.
Au marché du Mfoundi, Marie Ngono, 45 ans, dispose ses tomates sur son étal. Son regard est las lorsqu’elle évoque cette journée particulière : « Quarante-deux ans… J’avais trois ans quand il est arrivé au pouvoir. Aujourd’hui, ma fille aînée a vingt-cinq ans et n’a connu que lui ». Elle marque une pause, rajuste son pagne, « chaque année, c’est la même chose. Les autorités viennent nous demander de nous mobiliser pour les festivités, on doit laisser nos commerces, alors que nous peinons déjà à joindre les deux bouts. »
Quelques allées plus loin, Françoise Mballa, vendeuse de poisson depuis vingt ans, ne cache pas son exaspération, « Regardez autour de vous. Le marché est presque vide aujourd’hui. Les fonctionnaires qui sont nos principaux clients sont tous partis pour les manifestations. Et nous, nous devons quand même payer notre place au marché. »

A l’hôtel de ville, où se déroulent habituellement les principales célébrations, deux jeunes parlent de cet anniversaire. Steve Ekambi, 23 ans, étudiant en droit, s’arrête un instant, « mes parents me racontent toujours comment c’était l’espoir de tout un peuple en 1982. Aujourd’hui, nous les jeunes, nous ne pouvons même pas imaginer un autre Cameroun. C’est à la fois triste et frustrant. »
Son ami Christian Modo, 25 ans, renchérit, « on nous parle de la passation de pouvoir entre Ahidjo et Biya comme si c’était un événement ancien. Mais nous sommes toujours coincés dans ce même chapitre de notre histoire. Quand pourrons-nous enfin tourner la page ? »
A bord du taxi jaune dans lequel nous nous sommes engouffrés pour sillonner les rues de Yaoundé, Simon Kamgaing, comme indiqué sur son badge, commente les festivités de cette journée du 6 novembre 2024. À 68 ans, ce retraité de la fonction publique aujourd’hui taximan, a connu toute l’ère Biya, « J’ai commencé ma carrière sous son mandat, et j’ai pris ma retraite sous son mandat. J’ai participé à tellement de ces célébrations… Au début, c’était de l’enthousiasme sincère. Maintenant, les gens y vont par obligation ou par habitude. »
Le long des artères principales, les militants du parti au pouvoir sont omniprésents. Quelques banderoles célèbrent, « 42 ans de stabilité et de progrès ». Pourtant, dans les conversations, une question revient de plus en plus souvent ; « Et si c’était le dernier 6 novembre ? » Non pas par souhait de changement brutal, mais par simple constat du temps qui passe.
Dans les ministères désertés, les dossiers s’empilent. Les fonctionnaires, réquisitionnés pour garnir les rangs des célébrations dans leurs régions d’origine, ne reviendront que dans plusieurs jours. « C’est toujours comme ça », soupire Papa Simon. « Pendant une semaine, l’administration est paralysée. Les jeunes ne peuvent pas retirer leurs diplômes, les entrepreneurs ne peuvent pas déposer leurs dossiers, tout est à l’arrêt. »

À la nuit tombée, alors que les dernières célébrations s’achèvent, la question continue de résonner dans les rues de Yaoundé. Ce quarante-deuxième 6 novembre marque-t-il réellement la fin d’une époque ? Les Camerounais, entre lassitude et incertitude, regardent vers l’avenir avec un mélange d’appréhension et d’espoir. Une chose est sûre, le temps du changement approche, inexorablement.

Armand Arou

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