Dans le Sud-Ouest du Cameroun, en dépit des balles, le combat pour l’accès à l’éducation continue. Plus de 700 000 enfants sont privés d’éducation en raison des violences qui ont conduit à plus de 250 attaques contre des établissements scolaires depuis 2017, forçant la fermeture de 80% des écoles et le déplacement de plus de 3 000 enseignants. Malgré les conditions difficiles, l’espoir persiste à travers des initiatives locales et le soutien d’organisations internationales qui développent des approches novatrices comme les « écoles mobiles » et les programmes d’apprentissage accéléré, incarnant ainsi une résistance déterminée contre l’obscurantisme.
L’aube se lève sur Nyom, un quartier du premier arrondissement de Yaoundé dans le centre du Cameroun. Dans les ruelles encore endormies, du département de Mfoundi, des silhouettes furtives se glissent entre les murs. Ce sont des enfants qui, sac au dos, se dirigent vers leur nouvelle école. Stephen, 11 ans, est l’un d’entre eux. Ses pas sont prudents, son regard constamment aux aguets. « Avant, j’allais à l’école en chantant avec mes amis », murmure-t-il, « maintenant, je recommence à me faire d’autres nouveaux amis.»
Stephen a été inscrit cette année à l’école publique de Mindjomo dans l’arrondissement d’Obala. Le quartier est limitrophe à celui de Nyom.
Le jeune garçon de 11 ans doit tout réapprendre. Il doit s’intégrer dans sa nouvelle communauté après avoir été contraint par les séparatistes de quitter le sud-ouest avec sa famille. Ses parents ont vu leur boutique pillée, leur bétail emporté et leur maison incendiée. Ils ont tout perdu, avant de prendre la fuite.
Le prix de la guerre
La nouvelle école de Stephen ne paie pas de mine. Le décor est saisissant : des tables bancs cassés servent de pupitres, des planches usées et troués recouvrent les fenêtres, et dans une classe, une vieille et grande ardoise fissurée fait office de tableau noir. « Nous nous adaptons avec les moyens du bord », explique Madame Léontine Tamba, ancien professeur de mathématiques devenu directrice de cette école. « Ce n’est pas l’idéal, mais c’est notre façon de résister. Il nous faut former les enfants.»
Malgré ce décor, Stephen promet de poursuivre son rêve. Celui de passer son Certificat d’Etudes Primaires (CEP) et de poursuivre ses études au secondaire. Le jeune homme de 11 ans a déjà un rêve, celui de devenir médecin.
Une génération sacrifiée sur l’autel du conflit
Les chiffres révélés par l’UNICEF glacent le sang : plus de 700.000 enfants privés d’éducation dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Jean Ngapout, coordonnateur éducatif d’une ONG anciennement basée à Buea et délocalisée à Yaoundé pour des raisons sécuritaires, déroule la liste macabre : « Depuis 2017, nous avons documenté plus de 250 attaques contre des établissements scolaires. Des salles de classe incendiées, des enseignants menacés, des élèves traumatisés. Chaque jour apporte son lot de mauvaises nouvelles. »
Jean Ngapout dit avoir parcouru inlassablement les villages du sud-ouest et du Nord-ouest, son carnet à la main. Page après page, il a consigné méticuleusement chaque nouvelle attaque, chaque nouvelle école fermée, chaque nouvel enseignant menacé. « Hier encore, » soupire-t-il, « j’ai dû ajouter trois nouvelles pages. L’école primaire de Fundong… le lycée de Kumbo… le petit établissement de Bafut… » Sa voix se perd dans l’énumération, comme si chaque nom pesait le poids d’un avenir brisé.
« Dans les rues de ces villes autrefois animées par les rires des écoliers, on croise maintenant des enfants désœuvrés », poursuit-il.
Les 250 attaques recensées contre les établissements scolaires ne sont probablement que la partie visible de l’iceberg, car de nombreux incidents ne sont pas rapportés en raison de l’insécurité qui règne dans ces régions. Les enseignants, pris entre le marteau et l’enclume, doivent souvent choisir entre leur vocation et leur sécurité.
La terreur comme arme contre le savoir
La maman de Stephen une ancienne directrice d’école se souvient de ce jour où l’école que fréquentait son fils a été attaquée, «dans le quartier de New Town à Kumba, l’école primaire Saint-Augustine n’est plus qu’une carcasse noircie ».
Mme Dibong, (maman de Stephen) 45 ans, ancienne directrice, revient sur les événements qui ont marqué sa vie à jamais.
« C’était un mardi matin, les enfants venaient de commencer les cours. Nous avons entendu les premiers coups de feu. Tout s’est passé si vite… » Sa voix se brise. L’établissement a été attaqué en pleine journée, forçant enseignants et élèves à fuir dans la brousse environnante.
Elle a envisagé le pire lors de l’attaque de cette école où son fils était élève.
Selon l’Unesco, dans certaines zones, le taux de fermeture des écoles atteint 80%. Plus de 3.000 enseignants ont été déplacés, laissant derrière eux non seulement leurs classes, mais aussi leurs vocations brisées.
« Chaque école fermée est une victoire pour l’ignorance », déplore le Dr. Madeleine Fouda, experte en éducation d’urgence.
Des solutions alternatives émergent
Les organisations internationales, en collaboration avec le gouvernement camerounais, développent des approches novatrices. Des « enseignants mobiles » sillonnent les zones sécurisées, apportant l’éducation là où les structures traditionnelles ont disparu. Les pouvoirs publics et l’UNESCO adapter constamment leurs méthodes dans la région. Les programmes d’apprentissage accéléré permettent aux plus âgés de rattraper le temps perdu, tandis que les formations professionnelles offrent une alternative aux adolescents déscolarisés.
Selon l’Unesco, dans le village de Muyuka, une initiative particulière attire l’attention. Des enseignants retraités ont créé un réseau d’éducation parallèle, utilisant les arrière-cours et les églises comme salles de classe « Nous ne pouvons pas attendre que la situation s’améliore », a affirmé Joseph Ekonde, 68 ans, ancien directeur d’école cité par l’Unesco. « Chaque jour sans éducation est un jour perdu pour ces enfants. »
Un combat pour l’avenir
Me Paul Simo, avocat spécialisé en droits humains, insiste sur l’urgence de la situation, « Ce n’est pas seulement une crise éducative, c’est une bombe à retardement sociale. Une génération entière risque d’être sacrifiée si nous n’agissons pas maintenant. » Son cabinet documente méthodiquement les violations du droit à l’éducation, préparant des dossiers pour les instances internationales.
Les besoins sont immenses : réhabilitation des écoles détruites, formation de nouveaux enseignants, fourniture de matériel pédagogique. Mais au-delà de l’aide matérielle, c’est une prise de conscience globale qui est nécessaire. « L’éducation est notre arme la plus puissante contre la violence », rappelle le Dr. Fouda. « Chaque enfant qui continue d’apprendre est une victoire pour la paix. »
L’espoir malgré tout
Dans les villes où les déplacés sont installés, les enfants gardent espoir. Sarah, une jeune femme de 23 ans en formation à l’Enieg de Nyom, déplacée interne elle aussi ayant fui les violences dans le Nord-ouest, termine sa journée d’apprentissage. Ses cahiers soigneusement rangés dans son sac, elle partage son rêve, « plus tard, je veux devenir une enseignante. Pour que d’autres enfants puissent apprendre, même quand c’est difficile. » Dans ses yeux brille l’espoir d’une génération qui refuse d’abandonner son droit à l’éducation, envers et contre tout.
Alors que le soleil décline sur l’école publique de Nyom, les élèves se dispersent discrètement, emportant avec eux non seulement leurs connaissances, mais aussi la promesse d’un avenir meilleur. Dans ce combat quotidien pour l’éducation, chaque leçon apprise est une victoire contre l’obscurantisme.
Armand Ougock