Dans une ruelle animée de Yaoundé, capitale du Cameroun, se trouve le restaurant « La Place d’Ebène » de Mindjomo. L’établissement, tenu par Solange Ngono, est réputé pour ses plats peu communs. Ce jeudi 12 septembre 2024, une odeur alléchante s’échappe de la cuisine, attirant les clients vers un met controversé : la vipère.
Malgré son statut d’espèce hautement protégée par l’arrêté n°0648/Minfof du 18 décembre 2006, la vipère continue de faire saliver les papilles camerounaises. À une table, quatre convives dégustent ce plat interdit avec un mélange de délectation et de culpabilité.
Ebode, maçon de 45 ans, porte un jean délavé et arbore une barbe de quatre jours. Il savoure chaque bouchée : « La chair de vipère, c’est quelque chose de spécial. Tendre et savoureuse. On ne peut pas s’en passer une fois qu’on y a goûté », affirme-t-il.
À ses côtés, Bidzogo, vendeur de terrain de 60 ans, vêtu entièrement de noir, hoche la tête en signe d’approbation, « C’est vrai que c’est interdit par la loi, mais c’est notre tradition. Nos ancêtres en mangeaient déjà. Comment peut-on nous priver de ça ? »
Le jeune Ayissi, 30 ans, habillé d’un tissu pagne coloré, intervient avec fougue, « Les vieux nous ont longtemps caché ce délice par pure gourmandise ! Ils prétendaient que ce n’était pas pour les jeunes, mais en réalité, ils voulaient tout garder pour eux. »
Ngomo, 34 ans, vêtue d’un kaba traditionnel, ajoute sa voix au débat, « pendant des années, les hommes nous ont interdit cette viande. Ils disaient que ce n’était pas pour les femmes. Quelle injustice ! Maintenant que j’y ai goûté, je comprends pourquoi ils voulaient la garder pour eux ».
Solange Ngono, la propriétaire du restaurant, observe la scène avec satisfaction. Spécialisée dans la préparation de plats à base d’espèces rares comme la vipère, le pangolin et la tortue, elle confie, « Les affaires marchent bien. J’ai pu construire une maison et j’élève mes enfants grâce à ce commerce. Les gens adorent ces plats ‘spéciaux’. »
Pourtant, la loi camerounaise est claire : la commercialisation de ces espèces protégées est strictement interdite. Seule la consommation familiale échappe à cette interdiction. Mais à Yaoundé, un marché florissant d’espèces protégées continue de prospérer.
Les contrevenants s’exposent aux sanctions prévues par la loi allant de l’amende à la prison.
Un fonctionnaire du ministère de la Faune et de la Flore, sous couvert d’anonymat, explique : « Ce commerce perdure grâce à la corruption. Certains de nos agents ferment les yeux moyennant quelques billets. C’est un véritable fléau qui menace la biodiversité de notre pays. »
La situation soulève des questions sur la préservation de la biodiversité face aux traditions culinaires. Comment concilier protection des espèces et respect des pratiques ancestrales ? Le débat fait rage, tandis que dans les cuisines de « La Place d’Ebène », Une nouvelle vipère atterrit dans la marmite chaque semaine.
Solange Ngono, tout en surveillant sa cuisine, avoue à demi-mot. « Je sais que ce que je fais n’est pas légal. Mais la demande est là. Tant que les gens voudront manger de la vipère, il y aura toujours quelqu’un pour en vendre. »
Cette réalité étale aux yeux du public, les défis auxquels font face les autorités camerounaises. Entre application de la loi et respect des traditions, le chemin vers une solution durable semble encore long.
En attendant, à « La Place d’Ebène », les assiettes se vident et les conversations vont bon train. La vipère, mets controversé, continue de tisser des liens entre les générations, rappelant que parfois, le goût du fruit défendu est le plus savoureux de tous.
Armand Ougock